C'est une histoire qui m'intéressait beaucoup, aussi j'étais venue voir et entendre Christine Bard il y a quelques temps, présenter son livre à la librairie Violette and Co à Paris (site ICI).
Du livre, je m'attendais à une histoire où les «pour» ou «contre» le pantalon seraient lisibles : féministes contre anti-féministes. Quelle surprise de découvrir une telle complexité autour d’un peu de tissu, parce qu'il est symbole de pouvoir !
Les subtilités infinies, côté pratique du pantalon à la campagne, radicalité de le porter en ville avec le jugement des autres parce que «ça ne se fait pas», que la règlementation l'interdit, les passions soulevées dans le monde politique, médical, religieux, scolaire ...
Tant d'influences : pays étrangers, sport, vélo, haute couture, guerres, préférences sexuelles, codes de genre, travail féminin...
Et tout ceci croise avec la vie de personnalités exceptionnelles comme George Sand, Rosa Bonheur, Colette, Madeleine Pelletier, Violette Morris ou Alice Milliat... et tant d'autres courageuses anonymes, sportives, intellectuelles, exploratrices, ou femmes politiques jusqu'à nos jours ...
Janvier 2011 : l'ordonnance de la Préfecture de police de Paris du 7 novembre 1800 interdisant aux femmes de s'habiller en homme n'est toujours pas abolie...
EXTRAIT de l'INTRODUCTION DU LIVRE :
Le droit des femmes au pantalon (p. 16 à 19)
«La Révolution modifie ce système vestimentaire qui est également un système symbolique. Liberté, égalité, simplicité, naturel, vertu, fraternité sont quelques-unes des valeurs de la nouvelle société. Mais l’abolition des privilèges ne met pas fin à la domination masculine même si les rapports entre les sexes évoluent. L’interdiction du travestissement est reprise par la loi du 29 octobre 1793, qui proclame la liberté du costume, mais dans le respect de la différence des sexes.
Les femmes paraissent pour un temps décorsetées, mais la fin de l’épisode révolutionnaire consacre une extrême différenciation. Au 19e siècle, dans les milieux privilégiés, les hommes adoptent un costume simple et austère et semblent renoncer à l’érotisation de leurs apparences. Dans ce passage d’un régime vestimentaire aristocratique à un autre, bourgeois, le pantalon acquiert de nouvelles significations.
En 1899, la féministe Hubertine Auclert donne une interprétation politique à cette transformation majeure impulsée par la Révolution :
«Les hommes libres ont uniformisé leur costume simple; celles qui rêvent de devenir leurs égales ne peuvent prétendre conserver les artifices d’esclaves, le luxe anti-égalitaire qui ne s’acquiert qu’au détriment de la liberté.»
Ce point de vue n’est pas partagé par son aînée en féminisme, Maria Deraismes, qui est au contraire rebutée par «l’odieuse et triste uniformité des hommes» et charmée par «nos jolies étoffes claires, brillantes, vivaces».
Hubertine Auclert impulse le combat pour le droit de vote sans négliger, fait moins connu, la réforme du costume. Elle sait que «beaucoup de femmes ont adopté l’habillement masculin», telle la peintre Rosa Bonheur, qui trouvait «ce costume tout à fait naturel, la nature ayant donné deux jambes à tous les humains», sans différence de sexe».
Dans le Deuxième Sexe (1949), Simone de Beauvoir saisit bien l’enjeu politique du pantalon :
«Rien n’est moins naturel que de s’habiller en femme; sans doute le vêtement masculin est-il artifice lui aussi, mais il est plus commode et plus simple, il est fait pour favoriser l’action au lieu de l’entraver ; George Sand, Isabelle Eberhardt portaient des costumes d’hommes [...]. Toute femme active aime les talons plats, les étoffes robustes.»
Parmi toutes les raisons qui poussent des féministes - et non pas les féministes en général - à «revendiquer» le pantalon, il en est une, fondamentale, qu’il est important de citer d’emblée : le pantalon est un vêtement fermé. Ne nous laissons pas abuser par le «pantalon féminin» du 19e siècle, qui désigne en réalité une culotte de dessous, généralement fendue, c’est à dire ouverte. Le passage à la culotte fermée précède de peu le triomphe du pantalon féminin et même l’annonce, d’une certaine manière.
Les hommes portent donc un vêtement fermé et les femmes un vêtement ouvert. Contrairement à ce que suggère l’envolée froufroutante de Marilyn Monroe sur une bouche de métro, la jupe soulevée est le cauchemar des femmes ordinaires... Le vent, de même que les accidents, les chutes et de nombreuses activités et postures, sportives ou non, outragent la pudeur. Le rapport entre les sexes est aussi engagé par cette dissymétrie vestimentaire, dès les jeux enfantins (la peur des jupes soulevées) et pour la vie. L’ouverture du vêtement féminin évoque la facilité de l’accès au sexe féminin, sa disponibilité, sa pénétrabilité.
Le pantalon n’est pas simplement «pratique», notion éminemment fluctuante et dépendante de multiples variables d’appréciation. Il symbolise le masculin ainsi que les pouvoirs et les libertés dont jouissent les hommes. Au 20e siècle, devenu «moderne», il se banalise sans faire disparaître la jupe.»
«Une histoire polititique du pantalon» de Christine Bard, éd. Seuil (2010), 384 pages, 22 euros. Présentation de ce livre formidable sur le site de l’éditeur ICI.