J’ai beaucoup aimé la biographie de Benoîte Groult, “Mon évasion” ... C’est du carcan posé sur les filles et les femmes comme des éteignoirs, dont elle s’évade. Il ne devait pas lui correspondre ce carcan !... quelque chose cherchait, peut-être malgré elle. Tant de femmes cherchent ou restent en attente, toute une vie, sans jamais trouver, sans jamais SE trouver. Oui, c'est très dur de trouver car le machisme tient dans l’ombre, bien muselés, ces trésors féminins et féministes qui ont émergé envers et contre tout. De sorte que même les femmes les ignorent.
Son autobiographie raconte aussi une vie de femme à cette époque, elle est née en 1920 ! avec peu de droits et de commodités, pas de contraception, et ne parlons pas alors d'avortement autorisé ! ... jusqu’à son combat aujourd'hui pour le droit à mourir dans la dignité.
Ce que j’apprécie le plus chez Benoîte Groult c'est son humour qui ridiculise les misogynes. Elle dit les choses tout simplement et c'est le féminisme qui va de soi ... C'est beau d’en voir une qui s'évade, que ça nous aide, chacune, à trouver nos propres ailes ! ;o)
Deux extraits :
(fin des années 40) “Georges ne pouvait cacher son écoeurement devant ces ‘histoires de bonnes femmes’, toutes ces grossesses, ces fausses-couches, ces avortements qui semblaient être le lot quotidien de toutes mes congénères. Aussi attendais-je qu’il soit parti quelques jours en reportage pour me livrer à mes coupables manoeuvres. J’en étais aussi écoeurée que lui mais je me sentais responsable de surcroît, et indignée de mon impuissance. Je haïssais ce corps qui cherchait à me dicter sa volonté qui n’était pas la mienne.
C’était accablant aussi de devoir agir en dehors de toute information, de tout secours médical, réduite aux recettes de sorcières, aux remèdes de bonne femme dont certains dataient de l’Antiquité, l’avortement étant l’acte le plus secret mais le plus répandu de l’histoire des femmes. Les progrès de la science, en effet, l’avènement de la Démocratie et des Droits de l’homme (les bien nommés !), l’accès à l'instruction pour tous n’avaient rien changé à l’obscurantisme où se perpétuait cette pratique et à la cruauté de la société qui feignait de l’ignorer.”
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(années 80) “Mais notre commission (de terminologie) à nous, parce qu’elle s'occupait du langage concernant les femmes, a été accueillie en 1984 par un immense éclat de rire !
‘Comment ? Des précieuses ridicules allaient papoter sur notre belle langue française autour d'une tasse de thé ?’ ironisait Bruno Frappat dans Le Monde ...
Chacun y alla de son couplet, même M. Météo, dans Libération : ‘Délirium épais, écrivait Alain Gillot-Pétré. Benoîte Groult a peut-être gagné sa croisade pour devenir écrivaine. Mais je pose la question : quel est le masculin de l'expression ‘enculer les mouches à merde ?’’
Le Figaro Magazine saluait notre ‘commission de futilité publique qui entendait enjuponner le vocabulaire.’
‘Plaignons cette pauvre Mme Groult et ses fantasmes écrivait Georges Dumézil dans un article du Nouvel Obs. Ces dames qui s'attaquent au vocabulaire ont une profonde méconnaissance des langues indo-européennes.’
‘Au secours, voilà la clitocratie’ titrait Jean Dutourd dans son billet en page 1 de France-Soir.
Quand j'ai vu ce tir groupé, j'ai compris pourquoi Yvette Roudy m'avait demandé de présider cette commission...”
“Mon évasion” de Benoîte Groult, éd. Grasset (2008), 333 pages, 19,50 euros.>> Lire le début sur le site de l’éditeur ICI