Je poursuis l'exploration des albums choisis par la sélection Artémisia, prix de la BD féminine avec cet album intimiste.
Nathalie Ferlut nous fait partager l'histoire d'une petite fille devenue adulte à travers 3 lettres à sa mère maintenant décédée. Comme elle écrit : “ma petite maman chérie, je crois que tu ne m'as jamais aimée n'est-ce pas ?” Il y a de la souffrance, du reproche dans la question et aussi l'espoir de comprendre pourquoi ...
Le dessin très réaliste, à l'aquarelle, aux contours chaleureux met toute sa douceur à décrire une enfance pourtant sans chaleur. La mère, je l'ai sentie effrayée d'avoir une fille, dégoûtée de ce qui est féminin. Elle taille les cheveux d'Agathe n'importe comment, cherche à la couper du monde lorsqu'elle devient "une jeune fille"... alors qu'elle est une mère aimante avec ses deux fils.
Heureusement, des adultes montrent de l'affection et de l'intérêt à Agathe, notamment une tante et l'institutrice, avec la symbolique du savoir, clé de l'indépendance et transmis d'une femme (l'institutrice) à une femme en devenir (Agathe qui aime et travaille bien à l'école). Heureusement aussi, ses frères lui témoignent de la bienveillance.
Les relations parents-enfants, mères-filles sont au centre de l'histoire, ce qui permet à l'auteure d'évoquer l'évolution des mentalités et de la société (Agathe est née en 1946) : être une fille et devenir une femme à cette période charnière, la question de “l'honneur” qui repose essentiellement sur les épaules féminines, la scolarité et l'orientation des filles, l'accès au monde du travail salarié et non seulement au mariage et au foyer, l'émancipation par le savoir et le travail, l'avènement de la contraception ...
Cela m'a fait réfléchir à la courroie de transmission muette (mais pleine de sens) de nos histoires personnelles à nos enfants, comment cela influence d'une manière ou d'une autre notre manière d'être parent.
>> Une critique qui explore les thèmes du livre sur le site bdgest.
>> Un entretien avec Nathalie Ferlut sur le site de l'éditeur.
“Lettres d'Agathe” de Nathalie Ferlut, éd. Delcourt (2008), 95 pages couleur, env. 15 euros.