À l’occasion des 40 ans de Mai 68, j’ai repris ce livre qui m’avait enthousiasmée à sa sortie en 2004. Parce que dans l’actu je n’ai pas tellement vu de témoignages de femmes et que ça me manque, j’ai repris ce livre absolument génial : comme si on avait réuni ces femmes autour de nous pour nous parler de leurs souvenirs de mai 68 ...
Ce livre est un abécédaire, de la lettre «A» comme Adolescence à la lettre «V» comme Vérité ...
Il regroupe, sous cette forme originale, les témoignages de 22 femmes qui avaient entre 15 ans et 54 ans en mai 1968.
Extrait de la préface (de Michelle Perrot, historienne) : «Qu’il s’agisse de la famille ou du lycée ... ce qui ressort c’est la force des carcans et des interdits. Interdits vestimentaires (le port du pantalon n’est pas permis), sportifs (archaïsme de la «gym» des établissements de filles), professionnels et surtout sexuels... (...)
Les femmes se souviennent surtout d’un mal-être, éprouvé dans leur corps, leur couple, leurs amours, leur travail, leur tête. Un sentiment d’étouffement, de blocage, de désir d’ailleurs et d’autre chose. «Ma vie c’est de la merde, alors je suis pour le changement», «forcément» dit Luce. Changeons l’histoire, ça me changera moi...»
Extrait de témoignages :
Lettre A comme APRÈS : “Ce printemps 68, je crois que j’ai commencé à oser vivre. Et depuis, je ne me suis plus jamais arrêtée. Cela ne veut pas dire que je suis aujourd’hui quelqu’un de serein, de «zen» comme on dit, pas du tout, ce n’est pas mon style. Être heureuse ne m’empêche pas d’avoir des soucis, des moments difficiles, des angoisses, encore moins de me sentir concernée par tout ce qui se passe dans le monde. Surtout je m’autorise à être ce que je suis, forte de mon appétit de vivre et fragile en même temps ; je peux dire non à ce qui ne me convient pas, vivre avec mes contradictions, me sentir libre dans ma vie de couple. En somme, je me sens bien une fille de Mai 68.” (Chantal)
A comme AVANT : “Avant c’était l’autorité. L’AUTORITÉ ! Elle seule, parfois. ” (Julietta)
E comme ENFANT : “En 68 j’avais 54 ans et mon fils 20. La différence avec les générations précédentes c’est que si je n’étais pas toujours d’accord avec lui je l’écoutais. J’acceptais comme mère d’être secouée sur mes bases. Mon garage était devenu un lieu de fabrication de banderoles. Les garçons qui venaient étaient adorables avec moi, polis, respectueux. Je pense que j’étais pour eux un havre de paix. Je voyais le très beau côté de ce qu’ils faisaient, ils allaient plus loin que moi.” (Simone)
P comme PAROLE : “Prendre la parole en public dans les réunions c’était très difficile. J’ai remarqué que les femmes la prenaient beaucoup moins que les hommes. C’était à la fois révoltant et infériorisant. Bien plus tard j’ai réussi à la prendre : une petite victoire.” (Christine)
P comme PSY : “Hiver 67-68. Je viens de me séparer de mon mari et de trouver un poste dans une clinique psychiatrique de la banlieue de Marseille. Début de la «psychiatrie institutionnelle». Plus de blouse blanche, ni l’habituelle hiérarchie mais des groupes de parole... Entre soignants (médecins et infirmières) qui s’interrogent sur leur pratique ; entre soignants et soignés ... Patients auxquels on donne la parole et qu’on écoute. La parole peut guérir... Pour moi, venue des soins généraux, c’est une découverte !” (Marie)
S comme SEXUALITÉ : “On parlait à voix basse de sexualité et seulement entre filles. L’une d’elles était au Planning familial mais je n’osais pas l’interroger sur les méthodes contraceptives. Il me faudra attendre d’être à Londres pour avoir un premier diaphragme et de la crême spermicide qui viendra se substituer à l’usage exclusif des préservatifs. Je reste vierge jusqu’à mes 21 ans sonnés car ma mère ne veut pas «être responsable» d’un enfant.” (Luce).
“Filles de mai, 68 mon MAI à moi”, mémoires des femmes, éditions Le Bord de l’Eau (2004), 155 pages, 15 euros. Des extraits aussi sur le site de l'éditeur